Écriture

1) a) Les scribes hittites ont emprunté l'écriture cunéiforme akkadienne syllabique aux Mésopotamiens. Le style des signes (ductus) ainsi que leur usage pour représenter la langue hittite indique une origine en Syrie du Nord, plus précisément de la ville d'Alalakh (Tell Açana).

b) L'écriture cunéiforme a été inventée par les Sumériens et était à l'origine idéographique. Un signe était visualisé par un petit dessin et représentait une notion en rapport avec le pictogramme. Par exemple, le signe représentant un pied était utilisé pour signifier "être debout", "marcher", "courir", "apporter", etc... Lorsque le tracé des signes s'est simplifié au cours du temps, le sens initial des signes devint de moins en moins évident et l'écriture devint logographique : un signe était utilisé pour représenter un mot précis du langage plutôt qu'une idée. Cependant, l'écriture conserva son caractère polysémique car les signes gardèrent les différentes valeurs qu'ils avaient acquises.

c) De plus, une particularité de la langue sumérienne est son haut degré apparent d'homophonie. De nombreux mots sumériens ont la même prononciation avec un sens différent, et sont donc écris avec des signes différents. Il est donc nécessaire pour le chercheur moderne de distinguer entre la forme d'un signe et ses prononciations (et significations). Pour cela, les signes sont numérotés en fonction de leur forme dans différentes listes de signes, indépendamment de leur prononciation. Par exemple, le signe a le numéro 13 dans la liste de Labat. Il peut se lire AN "ciel" ou DINGIR "dieu".

d) Les signes sont représentés par leur lecture sumérienne. Afin de distinguer entre les lectures de signes homophones, ces lectures sont numérotées en fonction de la fréquence d'apparition des signes. Traditionnellement, l'indice 1 n'est pas indiqué, les indices 2 et 3 sont remplacés respectivement par un accent aigu et un accent grave sur la voyelle des mots monosyllabiques. Par exemple, les signes , , , sont transcrits u, ú, ù, u4.

e) La troisième période d'évolution de l'écriture cunéiforme a été l'invention de l'utilisation phonétique des signes. Une autre particularité de la langue sumérienne est qu'un grand nombre de mots sont monosyllabiques. Cela a donné l'idée aux scribes sumériens d'utiliser un signe pour sa valeur phonétique au lieu de sa valeur logographique. Cette utilisation phonétique a été cependant réservée pour compléter les signes logographiques, ou bien pour préciser une lecture parmi les différentes lectures d'un même signe, ou bien pour expliciter des points grammaticaux tels que la déclinaison ou la conjugaison qui ne pouvaient pas être indiqués au moyen d'une écriture purement idéographique. Cependant, les Akkadiens ou les Hittites pour qui le sumérien était une langue étrangère ont été amenés plus facilement à utiliser à grande échelle l'écriture phonétique puisqu'il n'y avait plus de rapport entre la signification d'un logogramme et sa valeur phonétique (d'origine sumérienne) une fois le logogramme exprimé dans leur langue maternelle.

2) L'écriture cunéiforme hittite utilise les trois modes de l'écriture cunéiforme : phonétique, idéographique et déterminatif.

a) Les signes phonétiques sont syllabiques. Ils peuvent représenter un groupe consonne + voyelle (par ex. ba, mi, ru), voyelle + consonne (par ex. ab, ir , uk) ou consonne + voyelle + consonne (par ex. bar, kid, lum). Les signes du troisième type peuvent être exprimés par deux signes du premier et deuxième types : bar peut s'écrire ba + ar, kid ki + id et lum lu + um.

b) Il existe des signes pour écrire des voyelles seules. Il n'y a pas de signes pour les consonnes seules.

3) Les idéogrammes sont des signes non-phonétiques représentant un mot complet. Ils peuvent être lu dans n'importe quelle langue, que ce soit de l'anglais, du français, du russe, etc... Par exemple, le signe pour "dieu" se lit dingir en sumérien, ilu en akkadien, siuna- en hittite, eni- en hourrite, etc... Autre exemple, le signe pour "pays" se lit kur en sumérien, mātu en akkadien, utnē- en hittite, umini- en hourrite, ebani- en urartéen, etc... Il arrive parfois que la prononciation hittite soit inconnue. Dans ce cas, le signe est transcrit par sa lecture sumérienne en lettres capitales : DINGIR, KUR, etc... Les logogrammes composés sont formés de plusieurs signes ; ils sont transcrits séparés par un point : ANŠE.KUR.RA "cheval".

4) a) Un mot peut s'écrire phonétiquement ou idéographiquement : le mot hittite pour "dieu" peut s'écrire ši-ú-na ou DINGIR. Les scribes hittites, commes les akkadiens, ont conservé l'habitude d'utiliser les logogrammes comme raccourcis afin d'économiser leur travail et l'espace sur les tablettes ; par exemple, il est plus rapide d'écrire DINGIR à la place de ši-ú-ni-iš .Il arrive aussi qu'un idéogramme soit accompagné d'un complément phonétique, en particulier pour indiquer sa déclinaison. Par exemple, le verbe walh- ("frapper") (idéogramme GUL) a une forme walhun ("j'ai frappé") qui peut s'écrire phonétiquement wa-al-hu-un, ou semi-idéographiquement GUL-hu-un ou GUL-un. Le substantif isha- ("maître") (idéogramme EN) a un Nom. Sg. ishās qui peut s'écrire phonétiquement iš-ha-a-aš ou semi-idéographiquement EN-, un Acc. Sg ishān écrit iš-ha-a-an ou EN-an, un Dat.-Loc. Sg. ishi écrit iš-hi-i ou EN-i, un Nom. Pl. ishēs écrit iš-he-e-eš ou ENMEŠ- (ou simplement ENMEŠ, cf §6d).

b) Certains mots étaient écrits uniquement idéographiquement par les Hittites, ce qui fait que nous ne connaissons pas leur prononciation, par exemple DUMU- "fils", MUNUS-za "femme", ÌR- "esclave", GUD- "boeuf", 1- "un".

5) a) Les Hittites avaient aussi l'habitude d'insérer des mots akkadiens au milieu de textes hittites. Ces mots sont souvent appelés akkadogrammes car ils semblent être utilisés comme logogrammes. Dans les transcriptions, on écrira ces mots en capitales italiques séparés par un tiret. Ainsi, on trouve pour le hittite isha- "maître" l'akkadien bēlu(m) "maître" écrit : Nom. Sg. BE-LU (plus ancien: BE-LUM), Acc. Sg. BE-LAM, Nom. Pl. BE-LUMEŠ, etc... Pour le hittite Dat.-Loc. Sg. atti-mi "à mon père", on peut trouver un mot akkadien précédé de la préposition akkadienne ana "pour" : A-NA A-BI-IA "pour mon père".

b) Il est rare de trouver un complément phonétique hittite à la suite d'akkadogrammes : par exemple, ĜIŠKÀ-AN-NU-UM-it "au moyen d'un support pour jarre ", EL-LAM-aš Gen. Sg. "d'un oeuf ". Autre exemple : le nom monosyllabique akkadien à l'état construit ŠUM "nom" est utilisé comme idéogramme avec un complément hittite : Nom.-Acc. Sg. ŠUM-an pour le hittite lāman "nom".

c) Un idéogramme peut être suivi d'un complément phonétique hittite mais aussi akkadien : par exemple DUMURU "fils" (akkad. māru), 1EN "un" (akkad. ištēn), DINGIRLUM or DINGIRLIM "dieu" (akkad. Nom. Sg. ilum, Gen. Sg. ilim), dUTUŠI "mon soleil" (titre des rois hittites ; akkad. šamšī).

d) Les formes sumériennes fléchies comme BA.UG7 "il est mort " (racine UG7 + préfixe BA), KI.LAL.BI "son poids" sont rares dans le contexte hittite.

6) a) Les déterminatifs sont des idéogrammes servant à définir la catégorie d'un mot auquel ils sont attachés. Ils ne se prononcent pas. La plupart des déterminatifs sont placés avant le mot qu'ils caractérisent. L'idéogramme DINGIR "dieu" sert aussi de déterminatif pour tous les noms divins (on le transcrit d pour DINGIR): dTelepinu, dU oudIŠKUR "dieu de la tempête", dIŠTAR, etc... Le logogramme DIŠ indique un nom propre (on le transcrit m pour masculin, ou I car DIŠ représente aussi le chiffre 1) : mMursili, mSuppiluliuma. LÚ "homme" indique une profession ou un habitant de lieu : westara- "berger", anniniyami- "cousin", KÚR "ennemi", ŠU.GI "vieillard". MUNUS "femme" indique une profession féminine ou un nom féminin : fanniniyami- "cousine", fŠU.GI "la Vieille" (une prêtresse), fPutuhepa. URU "ville" indique un nom de ville : URUHattusa, URUHalpa "Alep", ĜIŠ "bois" un nom d'arbre ou d'objet fait en bois, puis par extension d'autres matières : ĜIŠHAŠHUR "pommier", ĜIŠhattalu- "verrou".

b) KUR "pays" pour les noms de pays n'est pas considéré comme un déterminatif, mais plutôt comme un substantif. Ainsi, par exemple KUR URUHatti "le pays Hatti", KUR URUArzawa "le pays Arzawa" doivent être interprétés comme un génitif akkadien "le pays de Hatti".

c) Les déterminatifs qui suivent le nom sont plus rares : MUŠEN "oiseau" pour les noms d'oiseaux : hara-MUŠEN "aigle", ou KI "lieu" (ainsi que URU.KI "lieu de la ville") pour les noms de lieu : URUHalpaKI "Alep", KUR A.GA.DÈKI "pays d'Akkad".

d) Une classe importante de déterminatifs qui suivent le nom est celle des marqueurs de pluriel MEŠ et HI.A, rarement DIDLI (c.a.d. AŠ.AŠ) ou MEŠ.HI.A ou DIDLI.HI.A : ENMEŠ ou BE-LUMEŠ "maîtres", ERIN2MEŠ ANŠU.KUR.RAHI.A "fantassins et conducteurs de char", URUDIDLI.HI.A "villes", ERIN2MEŠ.HI.A "fantassins".

7) a) Lorsque l'on retranscrit des textes hittites, les signes phonétiques sont transcrits par leurs valeurs akkadiennes.

b) Cependant, la lecture hittite est différente et on doit garder en mémoire que les signes cunéiformes ša, še, ši, šu sont utilisés pour les syllabes hittites sa, se, si, su. Tandis que za, ze, zi, zu sont utilisés pour noter la spirante sonore z en akkadien, ils sont utilisés pour noter l'affriquée ts en hittite. Le signe akkadien ṣi (avec l'emphatique ) se lit aussi , tandis qu'en hittite qui n'a pas d'emphatiques, la seule lecture est . Le signe akkadien sul, šul se lit zul en hittite (écrit aussi zu-ul).

c) On distingue la translitération qui se contente d'indiquer les signes cunéiformes composant le texte, et la transcription qui s'attache à reprénter fidèlement la prononciation du texte. Compte tenu des incertitudes sur la phonologie du hittite, on utilise traditionnellement une représentation intermédiaire : la transcription large. Cette transcription ne prétend pas représenter la prononciation exacte du hittite mais est plus légère que la translitération. La transcription large reprend les signes translitérés en les attachant et en simplifiant les voyelles adjacentes. Les consonnes identiques adjacentes sont transcrites géminées mais leur sonorité est régularisée. Une consonne en fin de mot est écrite comme une sourde : a-ša-an-zi > ašanzi "ils sont", ši-uš > šiuš "dieu", AD-ta-aš > attaš "père", e-ša-AD > e-ša-at "il s'est assis".

8) a) Certains signes ont des valeurs spécifiques au hittite. Le signe akkadien áš peut se lire táš dans les textes hittites. L'akkadien meš se lit aussi en hittite (transcrit 17). ĜEŠTIN est utilisé en akkadien uniquement comme idéogramme pour "vin" (akk. karānu, hit. wiyana-), tandis qu'il se lit wi en hittite (transcrit wi5). C'est un bon exemple de valeur phonétique dérivée de la première syllabe de la lecture d'un logogramme.

b) Certaines lectures proviennent d'un jeu idéographique, en particulier les noms propres. La terminaison -ili des noms royaux tels que mMursili, mHattusili, etc... peut s'écrire avec le signe DINGIR (akk. ilu(m) "dieu", Gen. Sing. ili(m)) ; ainsi on trouve des inscriptions telles que mMu-ur-ši-DINGIRLIM = mMu-ur-ši-ILI(M), mHa-at-tu-ši-DINGIRLIM = mHa-at-tu-ši-ILI(M). Le nom de pays Hatti ressemble à l'akkad. haṭṭu "sceptre" (idéogramme ĜIŠGIDRU), ainsi le nom royal mHattusili est quelquefois écrit m.ĜIŠGIDRU-ši-DINGIRLIM.